L’histoire du développement d’un vaccin contre le VIH a été marquée par de nombreux revers et déceptions, chaque « avancée » apparente présentant encore plus de défis et d’obstacles à surmonter. Il semble souvent qu’à chaque pas en avant effectué par les chercheurs, un obstacle imprévu les retarde d’un, voire de deux pas.
D’une certaine manière, cette évaluation est juste, étant donné que nous n’avons pas encore trouvé de vaccin viable. D’un autre côté, les scientifiques ont fait d’énormes progrès ces dernières années, en acquérant une meilleure compréhension de la dynamique complexe de l’infection par le VIH et de la réponse de l’organisme à cette infection. Ces avancées sont si marquantes que certains pensent désormais qu’un vaccin pourrait être possible dans les 15 prochaines années (parmi eux, la lauréate du prix Nobel et co-découvreuse du VIH Françoise Barré-Sinoussi).
Il reste à voir si un tel vaccin sera abordable, sûr et facile à administrer et à distribuer à une population mondiale. Mais ce que nous savons avec certitude, c’est qu’un certain nombre d’obstacles majeurs devront être levés pour qu’un tel candidat puisse dépasser le stade de la preuve de concept.
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Comment le VIH entrave le développement d’un vaccin
D’un point de vue fondamental, les efforts visant à développer un vaccin contre le VIH ont été entravés par la diversité génétique du virus lui-même. Le cycle de réplication du VIH est non seulement rapide (un peu plus de 24 heures), mais il est également sujet à de fréquentes erreurs, produisant des copies mutées de lui-même qui se recombinent en de nouvelles souches au fur et à mesure que le virus se transmet d’une personne à l’autre. Développer un vaccin unique capable d’éradiquer plus de 60 souches dominantes ainsi que la multitude de souches recombinantes – et ce à l’échelle mondiale – devient d’autant plus difficile que les vaccins conventionnels ne peuvent protéger que contre un nombre limité de souches virales.
Deuxièmement, la lutte contre le VIH exige une réponse vigoureuse du système immunitaire, et c’est là encore que les systèmes échouent. Traditionnellement, ce sont des globules blancs spécialisés appelés lymphocytes T CD4 qui déclenchent la réponse en signalant aux cellules tueuses le site de l’infection. Ironiquement, ce sont ces mêmes cellules que le VIH cible pour infecter. Ce faisant, le VIH entrave la capacité de l’organisme à se défendre, car la population de CD4 est systématiquement épuisée, ce qui entraîne une rupture des défenses appelée épuisement immunitaire.
Enfin, l’éradication du VIH est contrariée par la capacité du virus à se cacher des défenses immunitaires de l’organisme. Peu après l’infection, alors que d’autres virus du VIH circulent librement dans la circulation sanguine, un sous-ensemble du virus (appelé provirus) s’incruste dans des sanctuaires cellulaires cachés (appelés réservoirs latents). Une fois à l’intérieur de ces cellules, le VIH est protégé de toute détection.
Au lieu d’infecter et de tuer la cellule hôte, le VIH latent se divise en même temps que l’hôte tout en conservant son matériel génétique intact. Cela signifie que même si le VIH circulant librement est tué, le VIH « caché » a le potentiel de réagir et de déclencher une nouvelle infection.
Obstacles à surmonter
Il est devenu évident ces dernières années que surmonter ces obstacles nécessitera une stratégie à plusieurs volets et qu’une seule approche ne permettra probablement pas d’atteindre les objectifs nécessaires au développement d’un vaccin stérilisant.
Les principaux éléments de cette stratégie devraient donc porter sur :
- Moyens de neutraliser la multitude de souches génétiques du VIH
- Moyens d’induire la réponse immunitaire appropriée nécessaire à la protection
- Moyens de maintenir l’intégrité du système immunitaire
- Méthodes pour éliminer et tuer les virus latents
Des progrès sont réalisés sur bon nombre de ces stratégies proposées, avec des niveaux d’efficacité et de succès variables, et peuvent être définis grossièrement comme suit :
Stimulation des anticorps largement neutralisants
Parmi les personnes vivant avec le VIH, il existe un sous-ensemble d’individus connus sous le nom de contrôleurs d’élite (EC), qui semblent avoir la capacité de supprimer la réplication virale sans traitement antirétroviral.
Ces dernières années, les scientifiques ont commencé à identifier les mutations génétiques spécifiques qui, selon eux, confèrent cette réponse protectrice naturelle. Parmi elles figure un sous-ensemble de protéines défensives spécialisées appelées anticorps largement neutralisants (ou bNAbs).
Les anticorps défendent l’organisme contre un agent pathogène spécifique. La plupart d’entre eux sont des anticorps non largement neutralisants, ce qui signifie qu’ils ne tuent qu’un ou plusieurs types d’agents pathogènes.
Certains bNAbs récemment découverts ont la capacité de tuer un large spectre de variantes du VIH (jusqu’à 95 % dans certains cas), limitant ainsi la capacité du virus à infecter et à se propager.
À ce jour, les scientifiques n’ont pas encore identifié de moyen efficace pour induire une réponse bNAbs à des niveaux qui pourraient être considérés comme protecteurs, et une telle réponse prendrait probablement des mois, voire des années, à se développer. Pour compliquer encore les choses, nous ne savons pas encore si la stimulation de ces bNAbs pourrait être nocive, c’est-à-dire si elle pourrait agir contre les propres cellules de l’organisme et annuler tout bénéfice que le traitement pourrait apporter.
Cela étant dit, on s’intéresse de plus en plus à l’inoculation directe de bNAb aux personnes déjà infectées par le VIH. L’un de ces bNAb, connu sous le nom de 3BNC117, semble non seulement bloquer l’infection de nouvelles cellules, mais aussi éliminer les cellules infectées par le VIH. Une telle approche pourrait un jour permettre une approche alternative ou complémentaire du traitement des personnes déjà infectées par le virus.
Rétablir l’intégrité immunitaire
Même si les scientifiques parvenaient à induire efficacement la production de bNAbs, cela nécessiterait probablement une réponse immunitaire robuste. Cela est considéré comme un défi majeur car le VIH lui-même provoque une diminution du système immunitaire en tuant activement les lymphocytes T CD4 « auxiliaires ».
De plus, la capacité de l’organisme à combattre le VIH avec les lymphocytes T CD8 dits « tueurs » diminue progressivement au fil du temps, à mesure que l’organisme subit ce que l’on appelle l’épuisement immunitaire. En cas d’infection chronique, le système immunitaire s’auto-régule en permanence pour s’assurer qu’il n’est ni surstimulé (provoquant une maladie auto-immune) ni sous-stimulé (permettant aux agents pathogènes de se propager sans entrave).
En particulier, en cas d’infection prolongée par le VIH, une sous-activation peut se produire, car les cellules CD4 sont progressivement éliminées et l’organisme devient moins capable d’identifier l’agent pathogène (une situation similaire à celle des patients atteints de cancer). Lorsque cela se produit, le système immunitaire « freine » par inadvertance une réponse appropriée, le rendant de moins en moins capable de se défendre.
Des scientifiques de l’Université Emory ont commencé à explorer l’utilisation d’anticorps clonés appelés ipilimumab , qui pourraient être capables de « relâcher les freins » et de revigorer la production de cellules T CD8.
L’une des recherches les plus accueillies avec enthousiasme, actuellement en cours d’essais sur des primates, consiste à utiliser la « coque » désactivée d’un virus de l’herpès commun appelé CMV dans laquelle sont insérés des fragments non pathogènes du SIV (la version primate du VIH). Lorsque les sujets sont inoculés avec le CMV génétiquement modifié, le corps répond à l’infection « factice » en accélérant la production de lymphocytes T CD8 pour combattre ce qu’ils croient être le SIV.
Ce qui rend le modèle CMV particulièrement convaincant, c’est le fait que le virus de l’herpès n’est pas éliminé de l’organisme, comme un virus du rhume, mais continue de se répliquer indéfiniment. Il reste à déterminer si ce modèle confère une protection immunitaire à long terme, mais il fournit une preuve de concept convaincante.
Éliminer et tuer le VIH latent
L’un des principaux obstacles à la mise au point d’un vaccin contre le VIH est la vitesse à laquelle le virus est capable d’établir des réservoirs latents pour échapper à la détection immunitaire. On estime que cela peut se produire en seulement quatre heures dans le cas de certaines formes de transmission sexuelle (passant rapidement du site d’infection aux ganglions lymphatiques) et jusqu’à quatre jours dans d’autres types de transmission sexuelle ou non sexuelle.
À ce jour, nous ne sommes pas entièrement sûrs de l’ampleur ou de la taille de ces réservoirs, ni de leur potentiel à provoquer un rebond viral (c’est-à-dire un retour du virus) chez les personnes que l’on croyait débarrassées de l’infection.
Certaines des facettes les plus agressives de la recherche impliquent une stratégie dite « kick-kill », utilisant des agents stimulants qui peuvent « faire sortir » le VIH latent de sa cachette, permettant ainsi à un agent secondaire ou à une stratégie de « tuer » le virus nouvellement exposé.
À cet égard, les scientifiques ont obtenu un certain succès en utilisant des médicaments appelés inhibiteurs d’HDAC, qui sont traditionnellement utilisés pour traiter l’épilepsie et les troubles de l’humeur. Bien que des études aient montré que les nouveaux médicaments HDAC sont capables de « réveiller » un virus dormant, aucun n’a encore été capable d’éliminer les réservoirs ou même de réduire leur taille. On fonde actuellement des espoirs sur l’utilisation combinée d’HDAC et d’autres nouveaux agents médicamenteux (dont le PEP005, utilisé pour traiter un type de cancer de la peau lié au soleil).
Mais le plus problématique est que les inhibiteurs d’HDAC peuvent potentiellement provoquer une toxicité et une suppression des réponses immunitaires. Par conséquent, les scientifiques étudient également une classe de médicaments, appelés agonistes TLA, qui semblent capables de stimuler une réponse immunitaire plutôt que de « faire sortir » le virus de sa cachette. Les premières études sur les primates se sont révélées prometteuses, avec non seulement une réduction mesurable des réservoirs latents, mais aussi une augmentation significative de l’activation des cellules « tueuses » CD8.